Destination : 176 , Destination durable


L'APPRENTI SORCIER

Jean-Antoine Dieudonné émergea péniblement de l'inconscience. Il lui semblait qu'il sortait, tout englué, du ventre d'un rêve angoissant.

Il ouvrit les yeux et ne vit d'abord que des formes brumeuses qui s'agitaient mollement.

Ses oreilles étaient encore pleines du fracas des vagues, de ses cris. Il avait lutté un peu, puis avait accepté son sort. Il était devenu une poupée de chiffon qui amusait les doigts crochus de la tempête.

Comment tout cela avait-il commencé ? Des lettres anonymes qui le menaçaient de mort s'il persistait à continuer ses recherches en Afrique. Les plans de seigle transgénique qui avaient été cultivés au Soudan et en Ethiopie avaient donné de fabuleux résultats et puis ce fut la catastrophe. Une étrange maladie attaquait le système nerveux des femmes enceintes qui la transmettaient à leur bébés. Jean-Antoine Dieudonné, chef du projet, depuis son laboratoire de New-York, avait longuement réfuté le lien entre "son" seigle et la maladie. Un enquête internationale indépendante avaient brandi les preuves irréfutables. Jean-Antoine Dieudonné avait alors débuté une longue marche dans le désert. Il persistait, il ferait bientôt son retour avec un riz extraordinaire aussi peu exigeant en eau qu'un chameau.



Les palmes d'une sorte de cocotier se balançaient autour de lui. Il parvint à s'asseoir et regarda autour de lui. A première vue, il avait été jeté sur une petite île. Du sable, des cailloux, quelques buissons épineux et trois palmiers. Il eut envie de pleurer sur lui-même. Qui s'inquiéterait de sa disparition ? Il devait penser absolument à quelque chose de rassurant : le mur blanc de sa villa à Cap Ferret, le lierre qui courait avec le chèvrefeuille sur la tonnelle et quelque chose de banal : une coccinelle trottinant sur la main élégante de Clémentine, son assistante et la chanson stupide qu'elle aimait à chanter "On ira, ou tu voudras j'irais ..." et la vision de Clémentine se déshabillant sans pudeur dans sa chambre de vieux garçon. Il pleura. Il venait de réaliser qu'il était amoureux. La vie avait pris un drôle d'itinéraire pour le lui faire comprendre.



Quelque chose furetait dans les buissons. Jean-Antoine Dieudonné fut à la fois ravi et terrifié, à quel bestiaire monstrueux appartenait cette autre vie ? Il devait vite improviser une arme.



Soudain son regard fut attiré par une étrange masse compacte, géante, que la mer poussait vers son île. C'était une multitude de déchets plastiques agglomérés formant un filet mortel.



Fin

EVELYNE W